"SONATE D'AUTOMNE" de Ingmar Bergman, film suédois, 1978 (Extraits de l'Article)

12/12/2008 22:16

LE SYNOPSIS

Après de nombreuses années d’absence, une concertiste de renommée internationale vient rendre visite à sa fille aînée. Elle vit isolée avec son mari, pasteur, et sa jeune sœur, atteinte d’un lourd handicap. Tout semble se passer pour le mieux, mais au cours d'une nuit d'insomnie, les comptes vont se régler entre la mère et sa fille…

(Wikipédia)

 

Réalisation Ingmar Bergman
Acteur(s) Ingrid Bergman
Liv Ullmann
Lena Nyman
Halvar Björk
Scénario Ingmar Bergman
Musique Johann Sebastian Bach
Photographie Sven Nykvist

QUELQUES ASPECTS TECHNIQUES:

L'Image :

Pour surprendre les personnages au moment le plus inattendu, Bergman va utiliser le coup du zoom. C'est ainsi qu'il saisit Charlotte  (Ingrid Bergman), montée dans sa chambre faire un brin de toilette avant le repas, et qui se livre à un long monologue. C'est aussi par ce procédé qu' il nous montre Victor (Halvar Bjork), le mari d'Eva (Liv Ullman) qui, tiré du lit par la crise entre Charlotte et Eva, les observe silencieusement depuis l'escalier. Le champ contre-champ exprime la tension entre la mère et la fille, et aux ruptures d'images est étroitement lié le son, qui se dilue dans le silence en rupture de ton ou interruption de la parole.

Le gros plan devient le reflet de l'âme des personnages, car c'est en suivant les expressions de leur visage, que l'on fixe leur pensée durant ces ruptures. Ce visage qui emplit l'écran, qui se compose sous nos yeux nous fascine et nous irrite à la fois.

Le Texte et le Son :

L'acteur, au plus fort du drame se caractérise essentiellement par les jeux de la physionomie, par la parole.

Les mots sont primordiaux car ils rompent un silence qui dure depuis sept ans; ils s'abattent incisifs, cruels, se bousculent, chargés de reproches. Ce sont eux qui font l'unité dramatique.

Chez Eva, le texte est déclamé, ainsi que dans les tragédies grecques avec une telle intensité dans la voix, qu'ils semblent criés et n'en sont que plus percutants.

Bergman résume ainsi Sonate d'Automne: "C'est un film pour deux actrices, pour deux violoncelles, plutôt, parce que le son en est grave". En effet, la montée du drame est fortement liée au son. Musique pathétique, dramatique qui retombe lorsque les personnages s'apaisent, et qui remplace les mots lorsque le "silence" s'instaure; de même que l'image s'efforce de compenser cette perte.

SEQUENCES REPEREES ET QUELQUES REPLIQUES :

Prélude de Chopin :

Charlotte demande à sa fille de lui jouer un morceau au piano. Tandis qu' Eva entame un prélude de Chopin, Charlotte l'observe pour la première fois, peut-être. Dans son regard attentif se mêlent la joie, la tristesse et la douleur.

- Eva termine et demande: "Tu as aimé?"

- Charlotte: "Je t'aime, toi".

Une fois de plus les mots se font cruels, même s'ils sont "amour".

Eva se replie sur elle-même et suce son pouce, mal à l'aise, en une attitude enfantine.

A son tour Charlotte interprète le prélude et explique: "Chopin, c'est la passion et non pas la sentimentalité; il est fier, sarcastique, cela doit sonner faux, au prix de terribles douleurs".

Lorsque Charlotte joue, l'expression de son visage change, son regard devient dur, ses lèvres sont pincées.

A son tour Eva l'observe attentivement et tristement; Chopin c'est Charlotte: quelqu'un souffre et n'en montre rien, puis après l'acalmie de courte durée, la douleur revient. Cela résume aussi les relations mère-fille et la douleur de Charlotte face à la maladie qui la tourmente et qu'elle ne parvient à oublier que grâce à la musique. Puis lorsque le prélude s'achève, Charlotte s'arrête comme exorcisée.

"Les Aveux" :

Eva et Charlotte vont finir par s'affronter réellement. Eva a besoin de parler après tant d'années de silence, de soumission.

Au cours de ce tête à tête, emportées par les mots et l'alcool elles laissent les reproches, les justifications et les regrets déferler.

Charlotte n'est plus la femme forte qui contrôlait si bien ses gestes, elle se trouble et ne sait plus se recomposer ce visage des "beaux jours". Pour elle, regarder la vérité en face est un choc.

- Charlotte: "Eva, mais tu me hais!"

- Eva: "J'étais une poupée que tu prenais et que tu laissais. Tu étais toujours totalement gentille et absente. Chez nous tu étais la seule à avoir la maîtrise des mots; ils n'allaient pas avec l'expression de tes yeux. Tu es une invalide du sentiment... Sortir de toi est au-dessus de tes forces... Sais tu que tu as réussi à me mutiler à vie, comme tu t'es mutilée toi-même?".

- Charlotte:"Eva, aide-moi! ".

PSYCHOLOGIE DU COMPORTEMENT :

- Charlotte (Ingrid Bergman) : Charlotte est pleine de vitalité, de cette vitalité même qui écrase les autres et ne supporte pas les individus qui lui paraissent si peu motivés. Elle ne sait pas faire front, elle fuit tout dialogue et se cherche des excuses. Tout est froid chez elle, elle n'éprouve pas de sentiments. Elle ne se souvient pas de son enfance, ni d'avoir été touchée par affection ni même pour une punition. Alors, ces sentiments elle les a vécus dans la musique, mais il lui manque l'impression de vivre: "Suis-je devenue adulte? Je me fabrique des souvenirs, je ne suis jamais née, j'oublie le visage des autres gens".

- Eva (Liv Ullmann) : Ce sentiment d'inexistence, Eva aussi le ressent profondément mais plutôt comme un problème d'identité; elle voulait tellement ressembler à sa mère "Pas un millième de ce qui était de moi ne saurait être accepté".

Eva est exaltée, irrationnelle, attentionnée, quoiqu' incapable d'aimer.

Charlotte et Eva sont en fait beaucoup moins dissemblables qu'il n'y paraît à première vue. Elles ont été sujettes aux mêmes frustrations et connaissent les mêmes angoisses:

- Eva: "Une mère et une fille quel horrible mélange de désarroi, de sentiment (...) la faille de la mère sera la faille de la fille (...) tout est possible au nom de la solitude (...) une fille qui souffre, est-ce une mère qui triomphe (...) ma douleur est-elle ton plaisir secret?".

- Héléna (Lena Nyman) : Héléna est la fille cadette de Charlotte. Handicapée psycho-motrice, elle est celle qui est réellement réduite au silence. Pourtant c'est elle qui  justement cherchera à rompre ce silence car elle est celle qui aime et qui sait pardonner. Par amour, elle peut "reprendre vie", par amour aussi, elle réunira toutes ses forces, tout son courage pour rejoindre sa mère. Mais Charlotte et Eva, toutes à leur haine, à leur rancoeur, ne l'entendent pas crier "Maman" car ce sont elles les vraies invalides: celles qui ne peuvent réellement communiquer et qui restent sourdes aux cris des autres.

CONCLUSION :

Dans Sonate d'Automne on trouve la recherche d'une atmosphère, une violente révolte, la volonté de tout dire sans se laisser aller à la fausse pudeur, à l'amertume.

Tout ici est sur le registre de l'austérité et renvoie aux thèmes qui ont obsédé Bergman: à l'intérieur d'un huit clos, la confession, la cruauté, la solitude.

Mais ce film pessimiste à cause du tragique "isolement" de ces deux femmes, en quête d'un impossible amour, se termine cependant sur une note d'espoir.

 

(Filmographe Loisirs et Culture) 

—————

Précédant